Procol Harum

Beyond
the Pale

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Procol, the Flying Dutchman of Rock!

François Gorin, 21 June 2014 • online here


Que reste-t-il de Procol Harum, vaisseau fantôme du rock ?

Seul rescapé du groupe d'origine, Gary Brooker continue de faire vivre le monument rock baroque des années 1960. La formation est en concert le 27 juin au New Morning de Paris.

« Je suis le dernier homme sur le pont. » Assis dans le hall d'un hôtel de la banlieue parisienne, Gary Brooker résume ainsi sa vie avec Procol Harum, ex-gloire anglaise des années 1960 dont il est le seul membre d'origine. On lui a bien sûr demandé d'entonner le célébrissime A whiter shade of pale, partie émergée d'une œuvre plus ample, et perle qu'il a parfois traînée comme un boulet – mais ce temps-là est révolu. Dans tout musicien qui dure, il y a un philosophe ayant su digérer son passé.

Juin 1967. A peine sorti le Sgt Pepper des Beatles, un groupe au nom latin dame le pion aux princes régnants du hit-parade. Orgue d'église inspiré de Bach, voix rauque à la Ray Charles psalmodiant des lignes ésotériques, A whiter shade of pale sera dans les mois qui suivent un tube mondial, au-delà du fameux « summer of love » dont il semble être issu par erreur. Car si les musiciens de Procol Harum (signifiant à peu près « au-delà des apparences ») se sont un temps déguisés pour les besoins de la promo – tuniques médiévales, victoriennes ou chinoises… –, leur musique est hors mode et sa visée, plus large qu'un simple slow-qui-tue. Derrière A whiter shade of pale, enregistré « live » en deux prises et sur quatre pistes, il y a un plan.

Gary Brooker, chanteur à moustache de 22 ans, et son collègue Keith Reid, grand type lunaire à boule afro, ont défini un son avant même d'avoir un groupe. Avec les Paramounts, jeunes émules des Rolling Stones comme Londres en comptait par dizaines, Brooker a fait en deux ans le tour du rhythm'n'blues à base de guitare-basse-batterie. Il veut de l'orgue et du piano – son instrument. Reid se consacre exclusivement aux paroles. Le tandem songe d'abord à composer pour d'autres, essaie de caser quelques chansons, puis finit par recruter quatre musiciens. Procol Harum première manière est né. Selon la légende, il emprunte son nom à un chat. Comme l'animal, le groupe aura neuf vies – au moins.

Mâchonnant une pipe ad hoc, Gary Brooker se souvient aujourd'hui du fringant capitaine qu'il était à ses débuts, insouciant du lendemain mais déterminé : « Avec ce son devenu notre marque de fabrique, nous cherchions moins à imiter le gospel qu'à approcher l'ampleur de la musique classique. On savait ce qu'on faisait, et ce que ça valait. Et si les gens aimaient ça, ils avaient raison ! » Quel que soit le verdict du public, il n'envisageait pas de faire autre chose… « en ignorant totalement si l'expérience allait durer cinq ou cinquante ans ». L'heure du jubilé approche et Procol Harum vogue encore, vieux rafiot dont seul Brooker a connu tout le parcours, y compris ses éclipses. La permanence du nom n'a rien d'usurpé, l'homme a toujours personnifié le groupe : chanteur, pianiste et signataire de presque toutes les musiques.

Passé le boom inattendu d'A whiter shade of pale (numéro 1 jusqu'au Venezuela !), il fallut d'abord imposer un style qui réclamait le format long pour s'épanouir. « En 1967-1968, la pop anglaise se concentrait sur les singles, alors qu'aux Etats-Unis, grâce au développement des radios FM, les DJ étaient libres de leur programmation. » C'est donc au public américain que Procol Harum plaît dès son premier album – où ne figure même pas le fameux tube. Sur le deuxième, la suite ambitieuse In held 'twas in I, occupant presque toute une face, inaugure à sa manière kaléidoscopique un genre d'opéra rock dont les Who et Queen se feront les champions. « On parlait déjà de musique progressive, rappelle Gary Brooker, mais l'étiquette “prog rock” n'existait pas. Nous cherchions juste à faire quelque chose de différent. »

Là où des groupes voisins ou cousins (King Crimson, Yes) s'engouffrent dans la brèche d'un rock à dominante instrumentale, usant du mellotron puis du synthétiseur pour la couleur symphonique, Procol Harum garde un cap plus terre à terre. Les mélodies les plus précieuses brodées par Brooker ont toujours l'empreinte du blues. Keith Reid, parolier et membre à part entière (un autre signe distinctif), lui sert des vers alambiqués sur quelques thèmes récurrents : mal de mer, ivresse ou mal d'amour. Les albums s'enchaînent, sans sortir le groupe d'un statut « culte » avant la lettre. Des lieutenants quittent le navire, ainsi Robin Trower, guitar hero frustré. Procol Harum se paie le luxe d'un concert à Edmonton (Canada), avec orchestre au grand complet, dont témoigne un album live. En 1973 sort le fastueux Grand Hotel, dont les textes reflètent certains aspects méconnus de la vie en tournée : « On ne parle pas ici d'orgies sexuelles et de nuits passées à boire, précise Gary Brooker, mais de profiterolles, de pêches flambées et de champagne ! »

Par cet album « fin de siècle » dont les musiciens posent en haut-de-forme et queue-de-pie, l'Europe est reconquise. « Le public rock grandissait, dans tous les sens du terme, et notre répertoire s'étoffait. Pour nous, le milieu des années 1970, souvent ­dénigré, fut une période intense. » Fin 1975, dans la foulée du superbe Exotic birds and fruit, son dernier sommet, Procol Harum obtient la salle Pleyel quand il passe à Paris. Un temple du classique, alors très rarement profané par des trublions pop. Assis aux deux bouts de la scène, comme si la poupe et la proue du navire se faisaient face, Gary Brooker au piano et B.J. Wilson à la batterie impulsent le formidable ressac des morceaux de bravoure : Conquistador, A salty dog…